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Page:Loti - L’Horreur allemande, 1918.djvu/28

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gerbes violettes, dans de vagues enclos qui avaient été des jardinets. Deux vieilles femmes demeuraient là encore, deux vieilles aux cheveux blancs, aux joues creuses, aux yeux hagards, qui semblaient devenues folles. Parce qu’elles n’étaient plus bonnes à rien, les Boches les avaient laissées, — et qui dira ce qu’ont bien pu devenir leurs fils ou leurs filles, qui dira quelles tortures d’attente, d’angoisse morale, de terreur physique elles ont endurées, grelottant au fond de quelque cave, pendant deux ou trois hivers, jusqu’au retour des Français ? C’est au bord d’un puits qu’elles m’apparurent, un puits qui sans doute avait, pendant des générations, fourni à leur famille la bonne eau claire. Péniblement, avec une pauvre corde toute raboutie, elles venaient d’en tirer un seau, et elles le flairaient avec méfiance : « Ça pue encore », disait l’une. « Oui, oui, répondait l’autre, ça pue. Jette, va, jette vite. » Ces petites phrases triviales, prononcées avec une morne hébétude, étaient aussi poignantes à entendre que n’importe quelles plaintes… On sait qu’en partant ils avaient eu aussi la délicatesse d’empoisonner les eaux ; dans