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Page:Loti - Le désert, 1896.djvu/117

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Maintenant donc, nous entrons, pour jusqu’au soir, dans le royaume du gris, du gris mat, comme saupoudré de cendre et veiné çà et là de brun ardent.

Ce sont les premiers contreforts de la chaîne des Djebel-Tih, que nous franchirons demain, défilés funèbres, aux parois de plus en plus hautes et plus abruptes. Il y a des vallées resserrées, aux entrées d’ombre, dont la désolation est étouffante ; d’autres très larges, dont la désolation plus grandiose amène des conceptions résignées, presque douces, de la grande mort sans réveil et de la fin de tout…

Grises les hautes cimes, grises les pierres, grises les maigres plantes dépouillées. Et un vent s’est levé, promenant en tourbillons ce sable lourd, pareil à de la cendre, dont les choses sont ici couvertes, — tandis qu’au ciel courent maintenant des nuages du même gris que la terre, qui s’en vont, affolés, vers l’Ouest.

Pendant la halte de midi, dans un creux de rocher, où nos tapis étendus semblent plus éclatants au milieu des grisailles d’alentour, deux bergeronnettes, qui nous avaient suivis en piaulant, viennent, avec une effronterie intelligente, manger au milieu de nous les miettes de notre pain. Entre les rares êtres vivants, il y a sans doute comme un pacte ici et une trêve de destruction…