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Page:Loti - Le désert, 1896.djvu/178

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L’oppressant bois de palmiers d’où je viens de sortir se recule en rideau et je découvre à présent toute la vaste étendue qui a pris son air de vision des soirs. Au-dessus des murs de ce cimetière, qui semblent avoir des contours mous, les dunes apparaissent, très mollement dessinées aussi, et, plus haut encore, s’étagent tous les granits lointains des montagnes, prolongeant jusqu’au croissant lunaire une sorte d’universelle montée rose. Cela déroute le sens de la perspective, comme si la Terre, devenue vaporeuse, s’était soulevée de ce côté-là pour se renverser ; mais pourtant cet équilibre instable demeure, tout reste immobile, figé à jamais dans une tranquillité et dans un silence infinis. Et toujours, c’est le désert et c’est l’Islam qui apporte ici l’angoisse sombre, l’angoisse charmante que les mots humains n’expriment plus…

La bête n’est pas partie ; elle tourne, tourne, empressée parmi les tombes, en s’aplatissant dans l’inquiétude de ma présence et elle continue de glapir, parce que je l’ai dérangée ; des plaintes traînantes, d’un diapason suraigu, sortent de son gosier lugubre de mangeuse de cadavres…