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Page:Loti - Le désert, 1896.djvu/202

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gnifiantes dentelures, — dentelures noires à présent, sous l’ombre épaisse des nuages.

Une voûte bien étrange s’est condensée au-dessus de nos têtes, très près de nous : flocons de ouates grises, qui semblent vraiment consistants, presque tangibles si l’on se hissait un peu. Et on dirait même que, par places nombreuses, des mains ont étiré ces ouates vers la terre, pour les filer sur des fuseaux ; on en voit pendre çà et là des parcelles, d’un gris plus noir, qui ont l’air d’avoir été prises et tordues avec les doigts, — et cela cause une vague frayeur inexpliquée, comme chaque fois qu’il y a anomalie dans les choses du ciel.

Nous allons bon train, maintenant ; nos dromadaires tout à fait réveillés augmentent l’écart de leurs fines pattes, pointent, dans ce vent plus froid des hauteurs, leur long cou d’oiseau. De temps à autre, par une trouée de nuages, un rayon inattendu tombe sur nous, dessine un moment nos ombres bizarres, puis s’éteint, nous laissant dans une plus triste lumière diffuse.

Sur ces plaines de boue craquelée, unies comme des toiles tendues, se perçoivent mieux la sveltesse des bêtes et des hommes, la sauvagerie des silhouettes, l’archaïsme des attitudes et des costumes. Elle chemine, chemine plus vite, notre caravane nouvelle,