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Page:Loti - Le désert, 1896.djvu/98

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déblayés pour un temps de tout l’écrasant chaos des granits. Et nous errons, plus libres et plus légers autour de nos tentes, dévisageant au crépuscule ces Bédouins, plus sauvages, plus faméliques et plus sombres, qui composent notre caravane nouvelle.

Quand vient la nuit d’étoiles, les sables gardent cette teinte chaude et rousse, d’une finesse exquise, que nous avions oubliée et sur laquelle les chameaux, les broussailles, font un semis de taches obscures. Nos Bédouins s’asseyent en rond autour de leurs feux, et les flammes claires, les blanches fumées chargées d’aromates montent vers la voûte bleu noir, où passe obliquement la lumière zodiacale, où scintillent des constellations comme rapprochées de la terre, ou vues au travers de miroirs exagérants. Alors, dans les groupes immobiles, la musette commence à gémir et un chœur rauque est entonné à voix basse ; musique sans âge, comme en devaient faire ici les plus primitifs bergers, et qui tremble, hésitante et grêle, dans du silence trop grand…