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Page:Louÿs - Trois filles de leur mère, 1979.djvu/110

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— Non, parce que tu es belle. Roule ta beauté dans l’ordure, ce sera toujours ta beauté.

— Crie que je suis une salope quand même.

— Tu es une pauvre fille ! lui dis-je. Quoi que tu hurles contre toi, je ne crois rien, je n’entends presque rien. Tu ne m’inspires que deux instincts : du désir malgré toi ; et beaucoup, beaucoup de pitié. »

Deux instincts ? J’en éprouvais trois. Le plus faible était le désir ; le plus lourd, celui que je taisais. Ne croyez pas que ce fût le dégoût. Charlotte me donnait tant de pitié que j’en avais de reste pour couvrir de ce manteau sa vie tout entière, sa vie inconnue. Mais mon instinct le plus fort, c’était le sommeil.

Les émotions bouleversées que nous laissent les heures tragiques éblouissent nos cerveaux, nos cœurs, nos mémoires. Shakespeare seul, je crois, a écrit le mot « sleepy » après une scène effroyable. C’est le mot suprême. J’avais envie de dormir. De dormir. De ne pas rêver. De reculer même les songes. De dormir comme un mort.

« Je ferai tout. Je te défie de trouver quelque chose que je ne fasse pas avec toi, pour toi, sous toi. Ordonnes-moi ; tu verras comme j’obéirai ! »

Elle tremblait de la tête aux pieds. Sa manie ne m’effrayait plus parce qu’elle avait cessé d’être mystérieuse ; et ce qui me frappa tout d’abord, c’est que Charlotte devenait de plus en plus belle à mesure que son délire augmentait.

Très grave, prenant même une expression