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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/101

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LA FIN DE RABEVEL

— …des paroles fraternelles… lui dis-je.

Il me tendit la main. Nous montâmes ensemble sur le pont. Une heure après nous étions amis.

Nous avons ensemble vu s’éveiller l’aurore sur le Pacifique Austral. Cela ne vous dit rien, mais parlez de ce moment aux hommes qui l’ont connu. C’est une chose inoubliable dont le souvenir poursuit celui qui ne la possède plus, d’un regret amer. En y songeant, je retrouve sur mes dents la saveur saline et parfumée de l’alizé venu des îles à la rencontre des vaisseaux.

Vassal n’a certainement pas oublié cette navigation dans les courants incessants du vent frais et les soirs pleins d’une tendresse inconnue de nos climats. Les cieux s’illuminaient par flambées écarlates avant que mourut la lumière du soleil. Des nuages prodigieusement colorés se traînaient avec langueur. Puis la Croix du Sud apparaissait, et les Centaures, et toutes les constellations inconnues de nos climats. Je les nommais à Vassal. Tous deux nous demeurions extasiés, créant pour le futur la nostalgie dont souffrent ceux qui ont une fois succombé au charme du Pacifique. Une nuit, sur le pont, il joua de nouveau pour nous seuls, la poignante mélodie qui nous avait unis.

Longtemps nous étions restés sans parler, saisis par la secrète puissance qui du bois sonore s’insinue dans notre cœur. Et puis Vassal, s’approchant de moi, tira une photographie qu’il me montra à la clarté du fanal.

— Voici, me dit-il, l’inspiratrice de cette musique.