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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/130

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LE MAL DES ARDENTS

îles, le ciel qui s’offrent à moi comme des fleurs que distille une flamme qui m’est intérieure. Il faut cent mille roses pour un peu d’essence précieuse. Mais celui qui se penchera sur le flacon en sera enivré ! Or, tandis que brûle cette flamme qui m’éclaire et me dévore, je vois croître en moi l’impérissable désir…

— Mais votre bonheur ?

— Ce désir qui se développe en s’assouvissant…

Olivier attendait, comme hésitant, une réponse.

À la clarté dernière de ce jour, le visage d’Isabelle apparaissait grave et charmant. Ses yeux tranquilles qui l’avaient longuement regardé se moquaient un peu encore ; mais elle semblait rêveuse…

— C’est curieux, dit-elle doucement. J’ai tout feuilleté. Il n’est pas de philosophe ni de savant qui n’ait accueilli peu ou prou mon besoin de savoir et, pourtant, cette émotion dont vous me parlez, ce bonheur frissonant je ne l’ai jamais rencontré. Je n’ai eu que des satisfactions modestes et mon cœur n’a changé son rythme à aucun moment.

Elle réfléchit un instant, puis :

— Et, réellement, je ne désire pas davantage.

La nuit tombait ; ils firent encore quelques pas, puis ils s’arrêtèrent de nouveau tant l’instant leur était délicieux.

— Cette eau courante et si mauve, demanda Isabelle qui ne pouvait détacher ses yeux du fleuve, n’éveille-t-elle pas en vous le désir du voyage ?