Aller au contenu

Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
LA FIN DE RABEVEL

— Non, car elle est belle mais sa beauté me conservera à elle tant que je n’en serai pas las. Je n’ai le goût de l’aventure que pour jouir de la beauté.

— Et comme vous semblez l’avoir développé, ce goût de l’aventure !

— Pouvait-il en être autrement ? Des idoles maories et des sagaies canaques peuplent les souvenirs de ma première enfance. J’ai vécu dans leur familiarité. Ma petite chambre tendue de pagnes m’offrait en vieilles images les portraits des corsaires et des navigateurs. Et même une frégate évoquait, sous son globe de verre les périples de Magellan.

« Tous les simulacres adorés des primitifs polynésiens qui menèrent entre l’île de Pâques et Honolulu l’existence aventureuse des pirates m’entouraient, taillés dans le santalier. Comme je les aimais ! Vous dirai-je qu’à certains soirs, quand la veilleuse noyait mon lit d’une pénombre, ces mythes prenaient une existence réelle et s’éveillaient avec les épices, les aromates et tous les parfums du Pacifique : la cannelle, le gingembre, le poivrier, et la vanille ; et le coprah ? »

Isabelle écoutait cette langue nouvelle avec une espèce de stupeur.

— Vous pouviez vivre, demanda-t-elle d’une voix presque indignée, au milieu de ces objets si uniquement créateurs d’illusion ?

— J’y vivais avec une joie complice accrue de la crainte manifestée par mes petits camarades. Je connaissais tous