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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/132

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LE MAL DES ARDENTS

ces dieux des mers du Sud, l’existence des planteurs et celle des plongeurs qui cherchent la perle à mille lieues de toute terre dans les lagons des atolls : je m’émerveillais de la vie mystérieuse du corail, ce petit dieu favorable, créateur de barrières indestructibles derrière quoi l’homme des îles peut rêver à sa guise à l’abri des requins et des civilisés.

« Avec quelle ferveur j’attendais le moment où mon père me prendrait comme mousse à bord du bateau qu’il commandait !

— Que cet enthousiasme m’est étranger, dit Isabelle, à voix presque basse et comme pour elle-même.

— C’est que vous ne savez pas combien c’était beau quand le « Bougainville » arrivait majestueusement dans le port de Bordeaux, puis s’arrêtait et s’amarrait sur ses ancres. Nous le rejoignions, ma mère et moi, dans un canot. Nous tremblions en montant l’échelle et mon père nous accueillait d’un sourire sur le pont. Les hommes du bord ôtaient leur béret ; je les connaissais tous et nous nous aimions. Ils disaient : « L’a cor grandi et forci, l’p’tit gas. Qué beau marin qui va faire. Un rude gaillard comme le père, quoi ! » J’étais rouge d’orgueil.

— Vous aimiez déjà le bateau ?

— Ah ! oui ; un vieux gabier m’y conduisait partout. Je connaissais bien le grand voilier mais, à chaque fois, j’apprenais des choses nouvelles ou je retrouvais des choses oubliées. Je grimpais aux mâts, je restais dans la