Aller au contenu

Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
207
LA FIN DE RABEVEL

vivants ; je vous croyais enterrés et vous voici ; vous m’étreignez ; tout comme autrefois mon cœur est saisi ».

Hélas ! de ces souvenirs de jadis la chair était aussi belle, le visage aussi séduisant ; meurtriers et créateurs, il lui semblait qu’ils faisaient refleurir les espoirs dévastés pour mieux immoler l’illusion présente ; qu’ils lui soufflaient un scepticisme empoisonneur ; qu’eux seuls l’empêchaient de savoir ce qui meurt et ce qui dure. L’incertitude et l’angoisse des hommes en font une loi.

« Bah ! se dit pourtant le triste Olivier ; laissons mes pauvres morts, laissons Isabelle ; laissons Raïatea. Ne nous plaignons pas des souvenirs qui nous assaillent ; c’est grâce à eux que nous tentons toutes les expériences, puisque c’est grâce à eux que nous ne mourrons pas tout entiers ».

L’espoir de revivre par ces souvenirs fécondait ses pensées ; ainsi, aimés et détestés, leurs évocations lui étaient d’une amertume délicieuse. Il passa la grille de la propriété de Rabevel.

Après tout, les quelques jours qu’il lui restait à vivre en France s’écouleraient vite ; il partirait sans voir Isabelle, évitant ainsi d’éveiller un sentiment dont la pureté faisait la force ; il fuirait Balbine ; il retournerait à Raïetea et, après son départ, que les autres se débrouillent entre eux…

Mais qui est maître de ses pensées ?

Il traversa distraitement la pelouse et se pencha vers l’étang. La pluie avait cessé ; un pâle crépuscule mettait une vague tendresse sur l’eau calme. Et il ne sut pas pour-