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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome III (1923, NRF).djvu/99

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LA FIN DE RABEVEL

de San Francisco et devait me déposer à Rarotonga, dans l’archipel de Cook.

La présence de Vassal à bord fut vite connue. Les belles Américaines qui étaient allées voir pour se distraire les geysers de la Nouvelle-Zélande, ne se lassaient point de faire des grâces devant cet admirable artiste qui est, vous le savez, un homme très simple, pas du tout cabotin, mais si lointain ! Plus d’une de ces beautés dites étincelantes se piqua au jeu mais Vassal ne voyait rien. Quoiqu’il eût vingt-deux ans il avait l’air d’un adolescent, tant il était charmant avec de beaux yeux pleins de candeur. Ces voyageuses s’en toquaient.

Un soir, elles avaient organisé, au profit de je ne sais plus quelle œuvre de charité, un concert auquel il prit part. J’ai appris ce jour-là ce qu’est la musique. Les perruches se taisaient ; elles sentaient confusément passer le génie dans ce petit salon, tandis que la mer assaillait le bateau. Certainement elles furent touchées par ce mélange non prémédité de la voix inconsciente de l’Océan et de la mélodie ailée qui prétendait décrire toute la douleur humaine.

On avait acclamé le musicien et l’interprète. On avait enlevé Vassal. Souriant, toujours un peu absent, l’air mal éveillé d’un songe, il se laissait fêter, emporter vers le fumoir où l’on avait soupé et dansé jusqu’au matin.

Pour moi, rêvant dans mon fauteuil à l’écart, je ne m’étais pas levé, tant je craignais de rompre le sortilège et je m’étais assoupi.