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Page:Lucien Fabre - Rabevel ou le mal des ardents Tome II (1923, NRF).djvu/126

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LE MAL DES ARDENTS

pour expier cela ! » Les pleurs lui hachaient la voix ; Bernard distinguait mal ses paroles ; il entendait les noms de François, du Père Régard, d’Abraham ; il comprit qu’elle parlait de pénitence, du Bon Dieu, de sa contrition. Il baissait la tête, impressionné par cette grande crise de désespoir, d’honnêteté, de piété qui tentait à déraciner à jamais leur amour. Et il admirait en même temps qu’elle fût si courageuse. Il se sut abandonné des dieux et des hommes. créature il perdait ! Puis il songea à l’enfant qu’elle portait dans ses entrailles, à son enfant. Elle y pensait aussi, elle dit que ce petit être serait pour la vie l’image de son péché, sa punition ; mais elle n’en pouvait plus, et poussant un cri où expirait le bonheur de son existence, elle clama : « Mon Dieu, mon Dieu, que je suis malheureuse ! » et retomba comme pour succomber ; Bernard eut le sentiment de leur détresse commune, il crut que tous deux atteignaient à l’extrême de la douleur humaine ; toute grande désolation s’accompagne de cette terrible impression de l’unique qui désespère la créature en lui laissant tout de même l’orgueil de se croire sans pareille. Il ne pouvait plus maintenant se taire, il fut sur le point d’aller chercher Abraham, de lui dire : « Je reprends ma parole, voilà tes titres, ta signature, je reprends Angèle, je l’emporte ». Il savait bien que s’il le voulait il parviendrait tout de même à la persuader, à vaincre l’influence du Père Régard, toutes les puissances divines ou terrestres. Il balança ; mais il vit les deux requins qui le poursuivaient :