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Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/374

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— « Que vous êtes bon !… Mais pourquoi voulez-vous paraître méchant ? »

— « Oh ! je suis très-bon… — Plus j’y songe, plus je me persuade que cette femme m’aimait réellement… Mais alors je ne savais pas distinguer un sentiment vrai sous une forme ridicule. »

— « Vous auriez dû m’apporter votre lettre. Je n’aurais pas été jalouse… Nous autres femmes nous avons plus de tact que vous, et nous voyons tout de suite au style d’une lettre si l’auteur est de bonne foi, ou s’il feint une passion qu’il n’éprouve pas. »

— « Et cependant combien de fois vous laissez-vous attraper par des sots ou des fats ! »

En parlant il regardait le vase étrusque, et il y avait dans ses yeux et dans sa voix une expression sinistre que Mathilde ne remarqua point.

— « Allons donc ! vous autres hommes, vous voulez tous passer pour des don Juan. Vous vous imaginez que vous faites des dupes, tandis que souvent vous ne trouvez que des dona Juana encore plus rouées que vous. »

— « Je conçois qu’avec votre esprit supérieur mesdames, vous sentez un sot d’une lieue. Aussi je ne doute pas que votre ami Massigny qui était sot et fat, ne soit mort vierge et martyr… »

— « Massigny ? Mais il n’était pas trop sot, et puis il y a des femmes sottes. Il faut que je vous conte une histoire sur Massigny… Mais ne vous l’ai-je pas déjà contée, dites-moi ? »

— « Jamais, » répondit Saint-Clair d’une voix tremblante.

— « Massigny, à son retour d’Italie, devint amoureux de moi. Mon mari le connaissait ; il me le présenta comme un homme d’esprit et de goût. Ils étaient faits l’un pour l’autre. Massigny fut d’abord très-assidu ; il me donnait comme de lui des aquarelles qu’il achetait chez Schroth,