Aller au contenu

Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/119

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saires français, les rois du Penjab et du Mysore, les colons de Dupleix, les flibustiers des îles de la Sonde, les missionnaires intrépides, disciples de François-Xavier, toute la jeune France du Bengale prêta l’oreille au canon de Ptolemaïs, et attendit, l’épée ou la croix à la main, ce jeune Bonaparte que Dieu même venait de sacrer sous le Mont-Thabor avec l’eau du Jourdain. Une bataille de soixante jours et soixante assauts n’avaient cependant pas encore détruit la porte Indienne de Saint-Jean-d’Acre ; Bonaparte désignant la tour maudite, criait cette parole sublime et mystérieuse : Mes amis, le sort du monde est dans cette tour ! et tous les héros de son épopée, Murat, Marmont, Dufalga, Bon, Davoust, Lannes, Regnier, Kléber, Beauharnais, géants du Tasse, ressuscités sous d’autres noms, se précipitaient sur les murailles, et trouvaient devant la brèche une main invisible qui les arrêtait, comme une écluse d’airain. Un seul, qui semblait avoir des ailes, ou que le génie des batailles emportait sur les siennes, l’indomptable Murat s’élança par la crevasse d’une brèche, courut sur les cadavres comme sur des épis fauchés, traversa Ptolémaïs au vol, entraînant après lui tout un peuple de barbares, et arrivé sur le môle, il se jeta dans une barque, et, passant sous le feu de l’artillerie anglaise, il reparut devant Bonaparte avec son damas rouge de sang, ses cheveux brûlés par la poudre, son brillant uniforme dévasté par une bataille qu’il avait livrée seul contre toute une ville, comme Alexandre à Oxydraka, sur la même route de l’océan Indien.

« Le sort du monde était dans cette tour, dit Bonaparte, une dernière fois, et il ramena ses soldats décimés par la peste