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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/127

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français. Je trouvais une véritable émotion à lire cette lettre dans un pareil endroit ; elle est fort curieuse, elle est inédite, et en écrivant ces lignes, je viens de la rouvrir pour en donner mieux le sens.

Nelson venait d’être nommé duc de Bronte pour les services rendus en Sicile ; il paraît que cette dignité lui donna de vifs chagrins, car il a écrit la lettre devenue ma propriété à son ami et homme d’affaires, M. Noble, pour lui faire confidence de ses ennuis secrets. On ne devinerait jamais quelle sorte d’ennui tourmentait ce grand homme en 1804, un an avant sa mort, à l’apogée de sa gloire et au moment même où la reconnaissance royale illustrait son nom de duc de Bronte. Ô misères de hautes existences ! Nelson se voyait ruiné par ce titre ; il lui fallait dépenser des sommes énormes pour faire honneur à son duché in partibus, et il regrettait le temps où il n’était que Nelson tout court, ce qui était plus économique. Comme toutes les lettres où il est question d’argent, celle-ci a un côté nébuleux, mais facile à éclaircir ; on y voit percer le projet d’un emprunt à la caisse de ce cher ami Noble, dear friend Noble, répété trois fois, emprunt destiné à subvenir aux dépenses fabuleuses imposées au duc de Bronte. Après avoir gémi quatre pages sur cette infortune, l’illustre amiral signe Nelson, duc de Bronte, comme si cela ne lui coûtait rien.

Cette page manquait à l’histoire de Nelson ; j’ai cru pouvoir l’insérer ici, parce qu’elle n’ôte pas un fleuron à une glorieuse couronne, et qu’elle est une page de philosophie ajoutée au chapitre des faiblesses héroïques. Soyez roi de l’Océan, et vous serez tourmenté par des comptes de mé-