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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/128

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nage et des chiffres bourgeois, comme un brasseur menacé de faillite ! Cette lettre m’a fait souvent penser à l’amiral Caïus Duilius. Avec mon système, expliqué plus haut, ces deux illustres amiraux, Caïus Duilius et Nelson me paraissent contemporains. En ma qualité de Français-Africain, je ne me sens pas plus humilié par les victoires remportées par Duilius sur les Africains, mes aïeux, que par la bataille de Trafalgar. Tout cela est de l’antique au même degré. Aussi je puis parler de tous deux, sans haine et sans passion.

Je n’ai point d’autographe de Caïus Duilius, mais je suis certain qu’il a écrit, dans la même occasion, une lettre à son ami Caïus Salinator, pour se plaindre de quelque chose après sa victoire sur les Africains. Les grands hommes se plaignent toujours ; cela console les petits.

La république romaine ne pouvait pas nommer Caïus Duilius duc de Barca, ce n’était pas l’usage deux cent soixante-quatre ans avant Jésus-Christ ; toutefois, comme il fallait un genre exceptionnel de récompense pour glorifier les services de Duilius, le sénat décréta qu’on lui élèverait une colonne rostrale. Jusque-là tout allait bien. Duilius ne pouvait pas se plaindre ; il ne payait pas les frais de cette colonne ; on la construisait ære publico. Que de fois je me suis arrêté dans le vestibule du palais des conservateurs, au Capitole, pour admirer la colonne rostrale de Duilius ! Deux mille ans l’ont épargnée, avec une intelligence que les siècles n’ont pas toujours. C’est l’éternelle glorification des services rendus par la marine antique ; elle prouve que les Romains comprenaient admirablement que le triomphe de la manne est lié au triomphe de la colonisation.