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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/129

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Mais le sénat ne se contenta point de la colonne rostrale ; il décréta que Caïus-Duilius serait toujours accompagné, après le coucher du soleil, par un porte-flambeau et un joueur de flûte, aux frais de l’État.

Cette récompense avait tout le caractère d’une vexation ; mais il fallut bien se résigner à ce luxe de faveurs promulgué par le sénat. Caïus Duilius eut beau dire qu’il se contentait de la colonne rostrale, on lui répondit que cette récompense ne suffisait pas à la gratitude de Rome, et il fut condamné à se promener toutes les nuits, jusqu’à la fin de ses jours, entre un joueur de flûte et un porte-flambeau, ce qui devenait intolérable. Sans doute, l’amiral Duilius a dû faire souvent des offres à ses deux éternels compagnons pour les engager à rentrer chez eux ; mais ceux-ci demeurèrent incorruptibles et acharnés sur tous les pas nocturnes du vainqueur des Carthaginois. C’est alors que Duilius a probablement écrit à son ami Salinator une lettre lamentable, et il en avait, en effet, de justes motifs. Si le roi d’Angleterre eût accordé la même récompense à Nelson, je comprendrais mieux les plaintes du duc de Bronte. Heureusement ces récompenses navales ne sont plus dans nos mœurs, quoique nous ayons aujourd’hui Dorus et Tulou ; ces deux flûtistes ont manqué à Duilius : les siens devaient être irritants, je les entends d’ici.

La plume qui écrit un voyage sort souvent des rails et se fait vagabonde, surtout dans le pays de Sterne ce père des digressions anglaises or, en quittant Caius Duilius, je retombai sur ma lettre autographe de Nelson et je la montrai au nabab, qui la lut et fit après cette simple réflexion : Elle