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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/130

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est fort longue ! Je compris la pensée du nabab, car il venait de lire la sublime phrase qui fut lancée à la flotte anglaise du haut de la vigie du Victory, le matin de Trafalgar : England expects every man to do his duty. Angleterre attend chaque homme faire son devoir. Heureuse langue qui a eu le bon sens de prendre au latin la suppression des articles et la règle du que retranché ! Le premier grammairien français nous a légué bien des broussailles, avec son ignorance du latin. Résignons-nous !

Oui, cet amiral qui écrivait des lettres si longues, écrivait des proclamations si courtes, et il n’avait pas tort, du moins quant aux dernières. Un usage antique veut que tout général harangue ses soldats avant une bataille : avec le secours moderne de l’imprimerie, je comprends qu’un général puisse faire distribuer un grand nombre d’exemplaires de son discours, mais je n’ai jamais pu m’expliquer comment les consuls romains faisaient entendre à cent mille hommes les harangues interminables citées par Tite-Live et autres historiens plus suspects. Voici le commencement de toutes les batailles antérieures à l’imprimerie : le général range son armée en ordre de combat, sur trois lignes de profondeur ; il place la cavalerie aux ailes et distribue partout les soldats armés à la légère ; cela fait, il monte à cheval, et s’adressant à ses soldats, il leur parle ainsi… Le discours dure une demi-heure, et toute l’armée l’accueille par un cri unanime d’approbation. Je pourrais citer vingt exemples de ces longs discours entendus par cent mille soldats sur une surface de plusieurs lieues ; deux me reviennent en mémoire comme preuves : celui que prononce Quintus Fabius, par la bouche