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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/131

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de Tite-Live, dans la guerre des Samnites, et celui de Marcius, chevalier romain, après la mort de Publius et Cnéius Scipion en Espagne. Si la loi du progrès eût été appliquée à ces harangues militaires, nos généraux modernes seraient aujourd’hui obligés de parler un volume à leurs soldats un jour de bataille. L’inverse est arrivé. Nelson, avec huit mots bien choisis, a effacé toutes les harangues militaires de Tite-Live. Ce discours d’une phrase est le chef-d’œuvre de l’éloquence ; jamais le délayage oratoire n’a dit plus de choses émouvantes que cette admirable concision. Le marin qui écoutait cette parole tombée des airs la comprenait et la retenait tout de suite, sans un grand effort d’intelligence et de mémoire : il lui suffisait, pour bien agir, de ces deux grands noms : Angleterre et devoir, qui retentissaient sur l’Océan aux premières brises du matin.

L’amiral Nelson avait une qualité qu’on ne saurait trop apprécier chez un homme de guerre : il détestait cordialement les Français. Une haine profonde est la seule chose qui puisse servir d’excuse aux horreurs de la bataille. Rien n’est odieux à voir comme un homme qui en cherche un autre pour le tuer sans le haïr nationalement. Le duel poli, souriant, affable, est une plaisanterie de l’enfer. Deux armées qui se rencontrent, sans se connaître, sans se haïr, sans se comprendre, et qui se tirent des coups de canon pour tuer le temps, font le plus exécrable des métiers. Aujourd’hui surtout, après quarante ans de paix, quand toutes les races européennes se sont croisées, quand les relations commerciales ont établi les relations domestiques, quand chaque peuple trouve partout des alliés, des amis et des parents, toute