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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/132

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guerre européenne serait une guerre civile. Le neveu, même de Nelson a épousé une Française ; et si Nelson vivait, il aurait peut-être donné à lady Hamilton une rivate chez une héritière de la Chaussée-d’Antin. À son époque, en 1804, ce grand homme subissait comme le moindre des cokneys, les préjugés en vogue, il avait foi en Pitt et Cobourg ; il écumait de rage en voyant un drapeau tricolore ; il croyait que nous mangions des grenouilles, et que nous étions tous des maîtres de danse et un peuple de Vestris. S’il vivait aujourd’hui, il aurait son pied-à-terre à Paris ; il chevaucherait aux Champs-Élysées ; il se montrerait en loge à l’Opéra ; il flânerait au boulevard ; il danserait aux bals des Tuileries, et ne perdrait ni son œil gauche, ni son bras droit, dans l’intolérable charivari d’une canonnade engagée avec les Français.

Nous sortîmes du musée des cadres maritimes de Greenwich pour faire une visite à quelques vieux pensionnaires, soldats antiques des guerres de l’Inde : le nabab les connaissait tous, et en serrant les mains de ces camarades du Mysore, il me disait leurs noms et leurs exploits. Ces vétérans, boucanés par l’écume de la mer, avaient encore toutes les allures de la jeunesse, et la vie, emprisonnée dans leur épiderme de métal, paraissait disposée à lutter un siècle de plus contre la mort. Celui-ci, me disait le nabab, a été blessé a l’embouchure de la rivière de Caveri ; celui-là est sorti seul vivant d’une embuscade de Taugs, dans le Carnatic ; cet autre a enfoncé à coups de hache la porte d’Hyder-Abab ; en voici un qui a délivré une veuve du bûcher pour gagner un pari. Moi, je regardais avec stupéfaction ces Ajax de l’Iliade indienne, et je leur offrais des cigares d’un schelling, et j’é-