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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/133

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tais joyeux de voir fumer à mes frais des héros d’Homère, des guerriers du. Ramaïana, des soldats du géant Adamastor ! Tous ces hommes fabuleux parlaient la langue des siècles héroïques ; ils donnaient un démenti aux dates de l’ère moderne ; ils prononçaient des noms harmonieux comme les flots du Bengale : on aurait cru entendre les soldats épiques de Ceylan, après la grande bataille livrée pour la belle Sita sur la pointe du Coromandel.

Nous nous entretînmes longtemps, le nabab et moi, de ces vétérans de l’Inde, en dînant à l’hôtel de Sceptre and Crown, sur la rive de Greenwich. Quand la nuit fut venue, le nabab me proposa encore d’user de son crédit pour me faire visiter l’observatoire. Voir l’observatoire de Greenwich avait toujours été un des rêves de ma vie. Je voulais admirer de près cette pompeuse sinécure de l’astronomie britannique, cet œil de Cyclope aveugle regardant l’éternel brouillard anglais. Nous traversâmes un parc délicieux, habitable l’été, c’est-à dire trois semaines ; nous gravîmes une allée toute semée d’herbes de velours, et sur le sommet de la colline, la porte de l’observatoire s’ouvrit à la voix du nabab. Le directeur était absent ; c’est ce qu’il a de mieux à faire, les étoiles n’y perdent rien ; elles sont toujours absentes aussi, et vraiment elles ont tort, car elles perdent une superbe occasion d’être lorgnées par les plus beaux télescopes qui soient au monde. Cette merveilleuse artillerie de William Herschell, braquée contre le ciel pour faire une brèche dans les arcanes de Dieu, me paraît fort déplacée sur les affûts de Greenwich ; toutes ces énormes lentilles, si bien combinées dans leurs tubes pour saisir une planète au vol et fouiller ses taches mystérieu-