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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/138

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veille, un monde de surprises, un chantier de géants ; Woolwich est un dépôt de piles de boulets et de pièces de canon. C’est dans les ports militaires qu’on se fait une juste idée de la puissance maritime de l’Angleterre, ce n’est pas à Woolwich. Les Anglais sont de grands frotteurs de métaux, aussi rien n’est charmant à voir, en fait de destruction, comme leurs canons et leurs boulets ; tout cela est poli comme un assortiment de meubles de boudoir ; tout cela est timbré du lion et de la licorne,

The lion ant the unicorn
Were fighting for the crown,

comme dit une chanson enfantine de Malte, à propos du blason de l’Angleterre. L’idée de graver les armes d’un pays sur les boulets de canon est assez ingénieuse ; il est toujours agréable de savoir par qui on est tué. Un boulet anonyme intrigue trop le soldat qui le rencontre sur son chemin. Le boulet, proprement timbré comme un exploit d’huissier, dit au soldat : C’est l’Angleterre qui te fait l’honneur de te tuer ; regarde la licorne et le lion, et sois reconnaissant.

Ce qu’on voit à la surface de l’arsenal de Woolwich n’excite pas une grande curiosité ; mais on dit tout bas, et mes oreilles en frémissent encore, on dit que cette surface vulgaire cache des secrets souterrains, interdits non-seulement aux étrangers, mais même aux nationaux. Je ne garantis pas la valeur de cet on dit mystérieux ; je me borne à timidement hasarder ces deux syllabes si courtes, on dit, préface ordinaire de tant de longues faussetés.

Si cet on dit n’est pas, comme presque toujours, le com-