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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/141

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crifiaient sur l’autel de la Peur, comme dit Rousseau ; ils prenaient lâchement la fuite devant les chariots armés de faux, devant les éléphants de Pyrrhus, à la bataille d’Héraclée, devant les torches de résine allumées par Annibal sur les cornes des taureaux, enfin devant tout ce qu’ils n’avaient jamais vu. Au siége de Syracuse, les braves marins et les héroïques soldats du grand Marcellus se couchaient à plat ventre sur le pont des trirèmes, et frissonnaient comme des conscrits toutes les fois qu’ils voyaient s’agiter un soliveau sur les remparts de Syracuse, parce qu’ils voyaient la main formidable d’Archimède derrière ce soliveau. Bien plus ! les Romains étaient si honteux d’avoir peur trop souvent, qu’ils se crurent obligés d’inventer un mot qui sauva un peu leur amour-propre ; ils inventèrent la terreur panique ; ils prétendirent que la grande voix du dieu Pan retentissante au fond des bois était la cause de toutes les poltronneries des héros.

Vox quoque per lucos vulgo exaudita silentes
Ingens.

Le consul Pontius entendit cet épouvantable Houhou dans les défilés du Samnium, et il passa sous les fourches caudines avec ses Romains. Ce fut une débâcle de poltrons, la veille tous héros. Une fois que les Romains eurent mis leurs accidents de lâcheté sur le compte de Pan, ils se trouvèrent à l’aise, et ne rougirent plus. Tant pis pour le dieu Pan ! Pourquoi leur faisait-il peur ? Si, de l’antiquité, nous descendons aux âges modernes, nous trouverions beaucoup de terreurs paniques sans l’excuse de Pan ; cette fois, et pour ne citer que deux héros, et certes les plus braves entre tous, nous li-