Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/142

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sons que le chevalier Bayard, surnommé Sans-Peur, avait peur des arquebuses à croc, et que Louis IX, dès qu’il voyait éclater le feu grégeois, il se jetoit à terre, dit Joinville et tendoit ses mains, la face levée au ciel, et crioit à haute voix à Notre-Seigneur, et disoit en pleurant à grandes larmes, sire Dieu Jésus-Christ, garde-moi et toute ma gent ! Ces peurs héroïques sont très-naturelles les arquebuses à croc et le feu grégeois étaient deux dangers inconnus. À ces belles époques de candeur et de bonne foi, on avait le courage d’avouer sa peur ; même, dans une histoire fabuleuse, Homère ne croit pas déshonorer Hector en le faisant fuir devant Achille. Pour Hector, Achille était le feu grégeois ; le fils de Thétis avait un bouclier magique forgé par Vulcain ; c’était encore un danger inconnu, et non classé.

Malgré les admirables réflexions de la Rochefoucauld, la forfanterie moderne a entassé beaucoup d’absurdités dangereuses sur le courage. Toutefois, après les grands exemples cités plus haut, nous persistons à croire que les machines de destruction absolue, aujourd’hui découvertes chez nos voisins et chez nous, diminueront considérablement le nombre des héros et augmenteront le nombre des sages. L’héroïsme est une belle chose, mais la sagesse vaut mieux. Faisons des vœux pour la découverte d’une artillerie d’Etnas. Si, révélés soudainement à l’horizon des batailles, les chariots armés de faux, les torches de résine, les éléphants avec leurs tours, les soliveaux de Syracuse, les arquebuses à croc et les feux grégeois ont épouvanté les plus braves soldats de l’antiquité romaine, le plus courageux des chevaliers et le plus héroïque des rois militaires, aujourd’hui, croyez-le bien, devant les