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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/143

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fusées infernales, les bombes asphyxiantes et les balistes pneumatiques, il n’y aura plus que des poltrons et la paix.

Telles sont les réflexions qui me furent inspirées par ma visite à l’arsenal de Woolwich. On y voit quelques canons trompeurs ; mais leur ancienne devise Ultima ratio regum, est aujourd’hui un mensonge et un anachronisme. Le canon stupide, c’est l’enfance de l’art, grâce à Dieu ! Le boulet ricocheur est une plaisanterie volante, un papillon d’artilleur, un meurtrier de hasard ; celui qui lance un boulet et qui tue un homme fait un racroc, comme un joueur de billard. Vieilles armes à suspendre en panoplies avec les arcs de Guillaume Tell, les frondes des îles Baléares, et les flèches des derniers Mohicans ! Parlez-moi des bombes asphyxiantes et des fusées infernales, ces anges d’extermination complète qui dorment dans les limbes de Vincennes et de Woolwich ! La voilà maintenant, la dernière raison des rois, et les rois réfléchiront longtemps avant de la donner ; ils réfléchiront peut-être toujours.

En sa qualité de vieux soldat, mon hôte le nabab est un ami intime de la paix, et nous nous applaudissions ensemble de ces philanthropiques inventions qui doivent tuer la guerre. Tout à coup je reculai de surprise lorsqu’il m’annonça, en souriant, et avec proposition d’un pari de cinq livres, qu’un illustre général français, portant un des plus glorieux noms de la marine française, venait de faire une descente en Angleterre, qu’il avait remporté une victoire éclatante sur les Anglais, et que, ce jour-là même, les vaincus lui donnaient un dîner d’honneur à Blake-Hall, de l’autre côté de la Tamise. J’étais bien tenté d’accepter le pari de