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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/144

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cinq livres ; mais comme j’ai l’habitude de ne tenir que les paris que je propose et de refuser ceux qui me sont proposés, je priai le nabab de me donner gratis le mot de cette énigme étrange ; il consentit et m’expliqua tout. J’aurais perdu mon pari ! c’était perdre avec beau jeu.

En effet, la veille, un de mes excellents amis, M. de la Bourdonnais, après avoir pris un congé de quelques jours au club des échecs de Paris, avait fait sa descente en Angleterre, il avait livré une bataille mémorable aux amateurs anglais du club de Westminster. Une bataille de la Bourdonnais était toujours pour lui une victoire. Les joueurs d’échecs anglais se montrèrent, en cette circonstance, ce qu’ils sont toujours, c’est-à-dire de parfaits gentilshommes ; ils décernèrent au vainqueur français un dîner triomphal.

Le nabab Edmond était au nombre des convives il connaît très-bien le jeu, comme tout riche Indien, et, dans sa jeunesse, il a souvent joué sur un échiquier tracé sur le sable du Gange, avec ses porteurs de palanquin, en allant de Calcutta au Penjaub. Chose merveilleuse ! le nom de la Bourdonnais est aussi populaire dans l’Inde que celui de Napoléon, mais ce n’est pas à cause des services rendus par le marin de Saint-Malo, gouverneur de l’île de France ; c’est parce que ce glorieux nom est porté par le plus grand joueur d’échecs de notre siècle. Philidor appartient au siècle dernier. Nous sommes même si oublieux, en France, que peu de contemporains se souviendraient du gouverneur de l’île de France, si Bernardin de Saint-Pierre ne l’eût immortalisé, dans Paul et Virginie, avec cette phrase : M. de la Bourdonnais arrive à cheval. Eh bien, j’en suis pourtant ravi,