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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/182

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avancé vers la jeune prisonnière qui a tressailli de joie, comme si on venait la délivrer.

» Le vieillard était sans doute un de ces consolateurs d’affliction que la justice humaine envoie à ceux qui vont mourir : il a tiré avec précaution, des plis de sa robe, une coupe d’agate, pleine d’une liqueur vermeille, et la présentant à la jeune fille inclinée, il a murmuré quelques paroles, et a disparu dans les ténèbres du cachot.

» La prisonnière, qui paraissait fort abattue avant cette visite, m’a semblé avoir puisé dans cette coupe d’agate un courage surnaturel, et même une virile exaltation. Elle a regardé le ciel comme pour le remercier d’un secours et d’une faveur miraculeuse, et la flamme du courage a remplacé sur sa figure la pâleur de la résignation.

» Un éclair a brillé devant mes paupières, le cachot s’est enseveli dans ses ténèbres, et j’ai revu le théâtre, les cent mille spectateurs, l’arène et le lion toujours accroupi.

» Une porte basse s’est ouverte, et les quatre fleuves vivants ont roulé leurs vagues de têtes ; la jeune fille du cachot a paru ; les mains et les bras se sont agités, comme les rameaux des bois de palmistes, quand le vent souffle du pôle sur les rives de Ceylan.

» Une grêle de pierres est tombée des hauteurs du théâtre sur le lion, pour l’exciter contre la jeune fille, mais le noble animal a daigné secouer à peine ses oreilles pour se protéger contre les projectiles de ses lâches ennemis ; il n’a pas quitté sa pose indolente et son immobilité ironique ; les cris de rage de cent mille bouches n’ont pu l’émouvoir ; un instant réveillé, il s’est endormi de nouveau, ou du moins il a fait sem-