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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/183

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blant de s’endormir, en allongeant sa large tête sur ses griffes d’airain.

» La jeune fille avait encore sur son visage cette héroïque résolution qu’elle venait de puiser dans la coupe d’agate ; rien ne donnait de l’hésitation à sa démarche, ni l’aspect de la bête fauve, ni les rugissements d’autres monstres invisibles, ni les cris de rage de ces spectateurs, plus terribles que le lion. Elle s’avança d’un pas résolu jusqu’au milieu de l’arène, joignit ses mains, et regarda le ciel, comme pour y chercher un protecteur.

» Le lion souleva sa tête avec une lenteur superbe, ouvrit ses yeux, et regarda la jeune fille d’un air de bonté, mêlée de commisération, ce qui excita une nouvelle explosion de rage sur tous les gradins de l’amphithéâtre.

» C’était vraiment un curieux spectacle ; cent mille hommes insultaient un lion, et le lion, sage comme un fakir, continuait à ne pas s’émouvoir.

» Bien plus, la jeune fille s’inclina, en souriant, vers la bête fauve, et promenant ses doigts d’ivoire dans la crinière de son formidable compagnon d’arène. Le lion sembla prendre plaisir à ce caprice enfantin il se laissa tomber sur le flanc, et prit la pose d’un lion héraldique, en pal, sur un champ de sable. La colère de l’amphithéâtre ne connut plus de bornes, en voyant éclater subitement cette amitié inattendue entre la victime et la bête fauve ; on venait assister à une exécution sanglante, et on assistait à un jeu enfantin. Toutes les règles de l’amphithéâtre se trouvaient violées.

» Aussi, j’ai vu se lever dans une grande loge aux bar-