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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/184

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reaux d’ivoire plusieurs chefs de la cité ou maîtres des jeux publics, qui ont paru se concerter pour mettre fin à cet innocent spectacle, si éloigné du programme du jour.

» Il paraît qu’une décision a été prise, et qu’elle a été saluée par des transports d’enthousiasme ; la grille des monstres s’est encore ouverte, et un tigre a paru, un tigre de la plus belle race, tigre originaire des gorges de Ravana, ou des grottes qui avoisinent le lac de Tinnevely.

» Le lion a flairé dans l’air une émanation féline, qui, pour son odorat subtil, était parfaitement distincte, au milieu des haleines ardentes de cent mille spectateurs ; il n’a pas daigné tourner la tête, comme pour ne pas faire trop d’honneur à un ennemi en se hâtant de le regarder mais il a tiré de sa poitrine d’airain une note sourde comme une pensée de colère, et il a fixé amicalement les yeux de la jeune fille, comme pour lui dire que cette menace ne lui était pas adressée. Le tigre a compris le sens véritable de ce rugissement, et ses oreilles se sont aplaties, sa longue queue s’est repliée sous le ventre lorsqu’il a vu au milieu de l’arène le terrible animal, qui est son ennemi naturel, par les traditions des familles félines et la loi des instincts fauves.

» Tout ce qu’un tigre peut faire pour éviter un combat inégal, celui-ci l’a fait avec un art merveilleux.

» Les dards aigus, hérissés autour de l’arène, démontraient l’inutilité d’une tentative d’évasion ; aussi le tigre, jugeant d’un seul coup d’œil sa position fatale, a essayé de se creuser un abri dans les épaisses couches de l’arène, mais il ne dérobait à peine qu’une moitié de sa tête, et tous les grincements rapides de ses griffes expiraient contre la dureté du sol que