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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/186

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chanté par une habile saracaden sur le fameux théâtre de Taranganbouri, la ville des ondes de la mer.

» Le tigre n’avait plus que la ressource qui reste aux lâches, il s’est fait courageux, et il a répondu par un rugissement qui aurait effrayé tout autre qu’un lion. La jeune fille priait toujours, et sa pensée montait avec son regard jusqu’au firmament bleu, où est assis celui qui écoute tout.

» Le lion a pris une démarche superbe ; il s’est avancé la tête haute, les crins hérissés, la gueule ouverte, les dents en relief, la langue convulsive et toute prête à lécher du sang.

» Le tigre a pris un élan de dragon, en s’appuyant sur ses pattes raccourcies, et il a bondi en décrivant comme la ligne d’une immense arcade dans l’air.

» Cet élan était si adroitement combiné qu’il avait toutes les apparences d’une attaque foudroyante. Mais le but a été dépassé : le lion a suivi de l’œil la courbe décrite, et s’est précipité sur son ennemi au moment où celui-ci retombait de l’autre côté sur l’arène. Aussitôt les deux monstres se sont levés debout comme deux lutteurs, mêlant leurs muffles, leurs écumes, leurs griffes, leurs rugissements, leurs convulsions formidables. Le lion, bien plus vigoureux que son adversaire, l’a renversé en le serrant dans ses pattes d’acier flexible, et lui a brisé l’épine dorsale en laissant tomber comme un coup de foudre sa tête énorme et ses dents de fer. Le vaincu fauve a poussé un dernier cri ; il a raidi ses griffes sur l’arène, a vomi un sang noir par les naseaux, et ne s’est plus relevé.

» Le lion, reprenant sa modestie après son triomphe, est venu se placer auprès de la jeune fille, comme pour lui an-