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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/195

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prendre au sérieux, même si on eût été sceptique ou railleur. Au reste, à ces époques de foi plénière, personne ne songeait à douter des pouvoirs magiques ; dès que le doute et la raillerie sont venus, la nécromancie a disparu de la terre. La foi éteinte, la bouche prophétique s’est fermée. L’homme qui a le plus contribué à détruire toutes ces choses, Voltaire, dans un moment de remords, a lui-même écrit ces vers :

Le raisonner tristement s’accrédite,

On court, hélas ! après la vérité !

Ah ! croyez-moi, l’erreur a son mérite !

Certes, c’était bien la peine d’écrire cinquante volumes contre l’erreur, pour faire ensuite pareille amende honorable à quatre-vingts ans.

Quoi qu’il en soit, les baguettes magiques sont brisées et les magiciennes ne reviendront plus, ce qui donne néanmoins tant d’intérêt aux magiciennes d’autrefois.

Là fermière s’attendait encore à rencontrer dans le val une vieille et laide sorcière, et elle avait préparé ses yeux et son courage à subir quelque horrible apparition ; mais son étonnement fut extrême, lorsqu’elle se trouva face à face avec la plus belle des femmes du comté de Kerry ! La fermière croisa dévotement ses mains comme elle eût fait devant l’apparition de la sainte, sa patronne, et ne put s’empêcher de s’écrier : Oh la superbe femme ! exclamation que la magicienne accueillit très-froidement, ce qui attestait chez elle un profond détachement des choses de la terre, et la rendait encore supérieure à son sexe par l’absence de tout amour-propre féminin.