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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/200

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sa femme, — et nous avons agi avec grande sagesse, en provoquant ces reproches. Si nous eussions dit à nos voisins : notre fille Edith est trop belle pour rester dans une ferme et nous allons la lancer, habillée en lady, à Dublin, dans les allées de Phœnix-Park ; si nous eussions dit cela, tout de suite les voisins n’auraient pas manqué de blâmer notre conduite, en termes peu charitables, tandis que nous sommes à notre aise, maintenant ; nous aurons l’air d’écouter leurs reproches, et d’obéir à leurs conseils. Les voisins seront contents d’eux et de nous.

— C’est bien ce que j’ai pensé aussi, dit la fermière ; je connais les voisins, ils sont tous les mêmes ; aussi faut-il toujours avoir l’air de faire ce qu’ils veulent, lorsque ce qu’ils veulent n’est autre chose que ce que nous voulons.

Ce raisonnement indique assez le caractère observateur et rusé de ces deux villageois. Celui qui observe est toujours plus fin que celui qui est observé. Le peintre a plus d’esprit que la toile.

Patrick feignit de faire violence à ses goûts champêtres, et il vendit sa ferme pour renoncer, disait-il, à son bonheur personnel, et songer au bonheur de sa fille, selon les sages préceptes de ses intelligents voisins. Les voisins applaudirent en masse à l’héroïque détermination du fermier.

La ferme vendue, Patrick se trouva le lendemain à la tête d’une armée de deux mille guinées, qui, d’après ses plans, devaient lui servir à conquérir, pour Edith, la vice-royauté d’Irlande.

Arrivé à Dublin, Patrick enferma sa fille aînée dans un couvent de religieuses peu favorisées par la beauté mon-