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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/214

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clous rouillés, finit par causer tant de tumulte sur le pont du Solide, que Marchand sortit de sa chambre pour rétablir un peu d’ordre sur ce bazar.

Les matelots crièrent Vive le capitaine ! et continuèrent leur commerce avec une grande verve d’insubordination.

Le capitaine Marchand ferma les yeux, et s’approchant de Masse qui étudiait une carte de Bougainville, devant la dunette, il lui dit :

— Mon cher Masse, au tomber du jour, nous déraperons.

— Comment ! dit Masse ; nous sommes venus aux Marquises de Mendoce pour nous ravitailler, et nous partirons sans toucher côte, sans mettre une embarcation en mer ?

— Mais réfléchissez, mon ami, dit Marchand, réfléchissez…

— Eh bien ! oui, je réfléchis… Après ?

— Après, dites-vous ! ce que vous voyez ne vous suffit donc pas, mon cher Masse ? Dois-je attendre ici que tous ces endiablés de marins du midi se jettent à la mer, comme des déserteurs, pour suivre toutes ces Cléopâtres dans ces montagnes bleues que nous voyons vis-à-vis ?

— Oh ! mon cher capitaine, — dit Masse après avoir étouffé un éclat de rire, — nos matelots vous aiment comme leur père, et ils ne déserteront pas, comme Marc-Antoine, pour vivre ensuite comme des Robinson-Crusoé ! Ne craignez pas cela.

— Si fait, je le crains, mon cher Masse. Je le crains, parce qu’un bon capitaine doit craindre et prévoir tout ce qui peut arriver, même l’impossible.

— Eh bien ! ceci est l’impossible, capitaine.