Aller au contenu

Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tomba sur son lieutenant Masse, qui tentait un dernier effort de pantomime pour arracher Mutzi à sa désolante immobilité.

Les matelots embarqués, apercevant leur capitaine debout sur son banc de quart, le saluèrent en agitant leurs chapeaux goudronnés, et pour se le rendre propice, ils entonnèrent l’antique chanson provençale, qui remonte à l’Io Bacche ! des navigateurs romains

Io ès aou pharo
Ché sen van lei demoisellos.

Cela signifiait, en langage maritime, que les marins des chaloupes attendaient un signal de départ qui n’arrivait pas.

Masse, ayant aperçu le capitaine, fit quelques pas vers lui, et en reçut cette interrogation embarrassante :

— Eh bien ! Masse, vous ne partez donc pas ?

— Capitaine, dit Masse, — en désignant du doigt l’horizon du nord, — ne voyez-vous rien, là-bas ?

— Non… et vous. Masse, que voyez-vous ?

— Je vois le petit point noir du Cap.

— Mais il me semble que nous ne sommes pas dans les eaux du Cap, et que nous ne craignons rien d’un petit nuage comme celui-là.

— Capitaine, dit Masse, j’ai navigué cinq fois dans la mer pacifique, et je vous affirme, sur la foi de mon expérience, que le point noir fixé à l’horizon est aussi dangereux dans ces parages qu’au trente-quatrième de latitude, devant le cap de Bonne-Espérance.