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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/235

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pour fumer à la barbe du Grand-Seigneur, qui cassait des œufs d’autruche à Térapia.

Tout à coup l’odalisque poussa un cri et s’évanouit ; l’Anglais laissa tomber l’ambre de ses lèvres, et se levant avec vivacité, là pipe à la main, à défaut d’épée, il aperçut le sultan qui lui lançait des flammes avec les yeux.

Ce fut un moment terrible et qui a été gravé à Londres, d’après un superbe dessin de Gavarni, sous ce titre : Amusement ! Quel amusement !

Le commandeur des croyants était au fond un bonhomme, mais il commençait toujours par se mettre en colère, et saisir un poignard.

Il saisit donc un poignard, et allait tuer le jeune homme, non à cause de l’odalisque, mais à cause de là pipe (qui a pu jamais connaître les pensées intimes d’un sultan !) lorsqu’une réflexion diplomatique le retint.

— Je suis Anglais ! s’écria le jeune homme, avec un accent très-fier.

En anglais, cela signifie je suis inviolable, nul n’a le droit de me toucher, pas même le sultan ! Je puis aimer ses odalisques, fumer ses pipes, boire son café, envahir son harem, c’est mon droit. Malheur à qui me touche !

Le sultan comprit donc tout ce qu’il y avait de profond dans ces trois mots : — Je suis Anglais.

Alors il montra la fenêtre avec la pointe de son poignard, au jeune homme, et lui ordonna de sortir, ce que l’Anglais exécuta tout de suite avec l’agilité d’un écureuil, et sans trop se soucier du sort qui attendait la belle Dilara.

L’odalisque était toujours évanouie, ou du moins son état