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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/241

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Alors Sanali conduisit Arzeb sur le sommet d’un pic plus élevé que toutes les montagnes du Mysore, et lui dit :

— Regarde.

Arzeb regarda.

Sous leurs pieds, le golfe Arabique se déroulait dans une forme qui paraissait ovale, et qui était unie comme une glace, et de la plus belle teinte de saphir.

Ensuite, Sanali tira, d’un pli de sa robe de jongleur, une épingle de saphir, dont le chaton était ovale, et lui dit :

— Tous ceux de notre pays ont une vertu qui s’appelle l’imagination, et qui ne sait rien rapetisser, rien réduire ; elle augmente tout, elle agrandit tout, et dans des proportions infinies, car il n’y a pas de bornes à l’imagination.

— C’est vrai, dit Arzeb.

— Et si vrai, poursuivit Sanali, que tu crois avoir vécu douze mille ans, en quelques heures, la nuit dernière.

— Oui, ajouta Arzeb.

— Or, toi qui sais si bien jouer aux échecs, continua Sanali, toi qui as enseigné les hauts calculs au bonze Niapour de la pagode de Jagrenat, tu dois savoir qu’il est aussi difficile de croire avoir vécu douze mille ans en six heures, que de voir le golfe Arabique dans un ovale de saphir. C’est la même proportion.

— La même, dit Arzeb.

— Tu as une imagination allumée par un coup de soleil indien, toi Arzeb, poursuivit Sanali. Eh bien ! regarde le golfe, et regarde l’ovale de saphir ensuite, et dis-moi si tu trouves quelque différence dans leurs proportions ?

— Aucune.