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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/259

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bien aujourd’hui, puisque vous oubliez tout, que vous ayez oublié la perle de Ceylan.

À ce souvenir, exhumé après dix-neuf années, devant un tableau accusateur, M. de Saint-Saulieux frissonna de la tête aux pieds, comme si une brise polaire eût glissé sur sa poitrine, et prenant la main de sa fille, par un mouvement brusque, il dit :

— Marguerite, voilà le monde qui arrive à flots dans les salons ; ne nous reléguons pas dans la galerie, comme des invalides du bal.

Madame de Saint-Saulieux regardait toujours la fête de l’habitation, et disait d’un ton aigre :

— Est-elle aussi belle que ce tableau l’a faite, madame van Oberken ?

— Mon Dieu ! mon Dieu ! — dit le mari, avec un ton d’impatience brusque ; — il y a vingt ans de cela, madame !

— J’ai cinquante-six ans, et vous quarante-trois aujourd’hui. Faut-il nous quereller comme des enfants devant un tableau !

Marguerite ouvrit de grands yeux, et regarda son père et sa mère avec stupéfaction.

— Tu ne comprends rien à cela, ma fille, — lui dit la mère en l’entraînant vers les salons :

— Je vais tout t’expliquer, parce que…

Comme elle commençait l’histoire de la perle de Ceylan, qu’elle se disposait à raconter en forme de plaisanterie, pour respecter l’âge de sa fille, le ministre parut et aborda M. de Saint-Saulieux, en lui serrant affectueusement les mains.

— Mon cher commandant, lui dit-il, vous vous montrez