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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/283

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sualité de créole, et elle se croyait, dans sa foi ingénue, transportée vivante au paradis.

Son jeune époux lui disait :

— Ô ma bien-aimée, j’ai entendu dire qu’un jour mon aïeul partit d’Espagne pour conquérir le royaume de l’or : il débarqua au port San-Yago ; il gagna la bataille d’Ottumba contre quatre-vingt mille Mexicains ; il prit la ville à la tête de six cents Espagnols, et de mille auxiliaires de Alacala ; jamais homme n’obtint donc une gloire plus grande, ne courba son front sous plus de lauriers… Eh bien ! adorée Lilia, si on m’offrait aujourd’hui la gloire de mon aïeul, je dirais : Que m’importe cette gloire vaine ! Que m’importe la conquête d’un monde ! Laissez-moi vivre aux pieds de Lilia, respirer ce qu’elle respire, aimer ce qu’elle aime, fouler le gazon qu’elle foule ! Laissez-moi ignorer tout ce que le monde renferme, excepté la beauté de Lilia !

Ajoutez à la tendresse de ces paroles, l’ineffable accent de l’amour, et les notes de la mélodieuse langue de Castille, et vous comprendrez peut-être l’extase qui pénétrait le cœur de la jeune femme du comte d’Elbonza.

Lilia eut alors un caprice charmant, fils d’une imagination du midi.

— Ce jour, ce beau jour, dit-elle, va s’envoler comme le plus vulgaire des jours, et tous nos efforts ne sauraient le retenir au moment où il se penche déjà vers le gouffre du passé ; mais je garderai de ce jour tout ce qui peut se garder ; un souvenir même matériel et sensible, une date embaumée qui parlera toujours à mes sens ; une émanation de