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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/284

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cette heure divine que la brise emporte et que je veux recueillir pieusement.

Alors elle cueillit une tige de toutes les fleurs qui embaumaient le vallon de las Ginestas, et elle les porta soigneusement à l’habitation de son beau-père, où le savant et illustre chimiste espagnol Padoas travaillait en ce moment à l’œuvre des merveilleuses essences de la flore des Antilles. Padoas ne vit, dans ce caprice de jeune femme, qu’une occasion de faire briller son talent de parfumeur émérite et breveté. Il composa donc, à l’aide de son puissant alambic, un parfum nommé l’essence des vingt fleurs, parfum qui a, depuis, joui de tant de vogue dans les gynécées de Séville et de Cadix.

Lilia divisa l’essence produite en vingt cassolettes portatives, dont dix-neuf furent hermétiquement fermées pour les besoins de l’avenir.

Le souvenir de ce beau jour était ainsi renfermé dans vingt reliquaires, mémorable date passée à l’état d’élixir.

En ce monde trop de bonheur est nuisible ; il faut bien se garder de tomber dans cet excès fatal. Des êtres invisibles sont jaloux et se vengent.

Après ce triste et court préambule, il nous suffira de dire, pour l’intelligence de cette histoire, que, deux ans après son mariage, le jeune comte d’Elbonza fut atteint du fléau qui désole souvent les grandes Antilles, et mourut presque subitement dans l’habitation de las Ginestas.

Lilia ne versa pas, dans son désespoir, cette quantité de larmes qui amollissent les peines, coulent avec les douleurs et se tarissent le lendemain avec elles ; Lilia garda une sombre attitude de simulacre tumulaire son œil resta sec comme