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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/286

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— Une veuve pourtant se remarie toujours quand elle est jeune, riche et consolée par deux ans de veuvage.

— Et moi, mon cher père, je suis une veuve qui ne se remarie pas.

— Vous ignorez sans doute le nom et le rang de celui qui vous demande en mariage.

— Mon père, je l’ignore effectivement, mais je refuserais le roi des Espagnes ou le gouverneur de la Havane ; ainsi vous voyez que le nom, le rang et la fortune ne me tentent pas.

— C’est mon neveu qui vous a connu, il y a trois ans, et qui se dispose à quitter Madrid pour vous épouser.

— Eh bien, mon cher père, dites ou écrivez à votre neveu de rester à Madrid s’il s’y trouve bien, à moins qu’il n’aime faire des voyages inutiles à bord d’un vaisseau.

— Vous réfléchirez, ma fille, — dit le beau-père en souriant.

— Voilà ce qui vous trompe, cher père, je ne réfléchirai pas. C’est tout réfléchi.

— Et qui sait ! ma fille ; dans un an, dans deux ans, trois ans, les idées changent ; ne prenez point d’engagement avec l’avenir.

— Je suis sûre de moi ; j’attends l’avenir sans crainte ; je serai veuve après dix ans, comme aujourd’hui, croyez-le bien. J’ai de l’énergie dans mes résolutions, et je ne me corrigerai pas d’une vertu.

Le beau-père s’inclina comme un adversaire vaincu, mais en se retirant devant Lilia victorieuse, il emporta l’idée d’être plus heureux une autre fois.