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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/287

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À mesure que Lilia avançait dans son veuvage, les poursuivants augmentaient en nombre et en audace. Tous les jeunes gentilshommes de la Havane se mirent successivement sur les rangs ; le gouverneur même arriva le dernier, comme pour donner le dernier assaut à une citadelle imprenable. Le gouverneur fut traité comme le vulgaire des amoureux. Lilia n’écouta aucune proposition.

Cette force de résistance invincible, Lilia la puisait chaque jour dans un de ces récipients odorants qui lui rappelaient un jour d’éternel souvenir. Lorsque la mer étincelait sous les caresses du voluptueux démon de midi ; lorsque la neige des magnolias tombait sur l’herbe de las Ginestas, notre jeune veuve s’asseyait sur des coussins de verdure, et la puissance des parfums respirés lui rendait les extases et les chastes délices de sa lune de miel ; quel est donc cet étrange mystère recelé dans les exhalaisons des fleurs ?

Comment se fait-il que l’imagination puisse franchir les abîmes du passé sur les ailes d’un parfum, et qu’elle fasse revivre ce cadavre, et qu’elle nous entoure au même moment de tout ce qui était alors pour nous, joie, bonheur, amour, mélodie, comme si nous revivions dans ce passé ?

Lilia emportait ainsi avec elle, pour ainsi dire, tout un bonheur éteint qu’elle rallumait à sa volonté, en respirant l’élixir des fleurs de las Ginestas. Elle ne quittait jamais l’écrin portatif qui renfermait le plus doux des trésors invisibles. Lorsque son acharné beau-père, toujours vaincu, et toujours relevé, apportait à Lilia un nouveau nom de mari prétendant, la jeune femme ouvrait sa cassolette, et prenait tout de suite en horreur le prétendant, sans le connaître ;