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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/288

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car elle prêtait, en ce moment, l’oreille aux douces paroles de son mari qui lui parlait sous les arbres du vallon, dans l’enivrante atmosphère des fleurs. Quelle femme bien avisée, pensait Lilia, aurait consenti à sacrifier ces pures extases, chaque jour renouvelées, aux prétentions d’un amoureux inconnu, qui jamais peut-être ne se ferait aimer ?

Vraiment il y aurait de la folie à perdre cette continuelle résurrection d’un passé délicieux pour gagner un avenir tout voilé d’incertitudes conjugales, et d’inévitables dégoûts, si l’inexpérience ne trompe pas.

Les nombreux poursuivants éconduits n’étaient pas dangereux pour le repos de Lilia que sa famille protégeait contre les rancunes et les refus ; mais le gouverneur de la Havane n’était pas homme à subir sans vengeance un si cruel affront.

C’était un véritable Hidalgo de vieille souche, âgé de quarante-six ans, trois fois veuf, toujours disposé à de nouvelles noces, et croyant honorer de ses faveurs les femmes qu’il épousait.

Ce gouverneur envoya son ultimatum aux parents de Lilia, et sa lettre se terminait ainsi :

« La jeune veuve d’Elbonza n’a aucune raison légitime de me refuser comme époux. Je descends des Pizarre ; je suis allié aux Saldanha ; je reçois un galion tous les ans ; j’ai douze portraits d’aïeux dans ma salle d’armes ; je suis d’âge vaillant ; je commande les forces de terre et de mer, et si je demandais l’infante en mariage, l’infante s’endormirait joyeuse dans l’Escurial. Cela dit, je prétends épouser le 24 juin, veille de Saint-Jean, la noble dame Lilia, veuve d’Elbonza.