Aller au contenu

Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La jeune femme lut le message, sourit, ouvrit son écrin de parfums, respira ses plus chers souvenirs, et fit cette réponse :

« Monseigneur,

» Le roi d’Aragon et de Castille, qui est le plus puissant roi du monde, puisque le soleil ne se couche jamais sur ses États, n’aurait jamais l’idée de forcer la plus humble des bergères à l’épouser par décret royal. Vous êtes, sans doute, un haut et puissant seigneur, mais le roi d’Aragon et de Castille est au-dessus de vous, et ce qu’il n’oserait faire, vous ne le ferez pas. Lisez notre romancero, et vous verrez tous les désastres qui ravagèrent l’Espagne, lorsqu’un jeune roi voulut faire violence à la Cava. Cette insulte amena la chute du dernier roi des Goths, et l’horrible bataille du Guadaleté ou Guadalquivir.

» Permettez-moi de rester dans ma sainte liberté de veuve, et priez Dieu qu’il vous garde des mauvais conseils.

» Lilia. »

Le gouverneur, naturellement porté à la colère comme tous les gouverneurs, déchira la lettre de Lilia, et se promena deux heures sous une allée de saules pleureurs, pour chercher une vengeance, seule consolation des hommes puissants, lorsqu’ils sont malheureux en amour.

Investi de pouvoirs absolus et extraordinaires, il rédigea un décret qui exilait à perpétuité de la Havane et autres possessions espagnoles, la veuve Lilia d’Elbonza et toute sa famille. On donnait vingt-quatre heures aux exilés.