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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/290

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Le beau-père se mit aux genoux de sa belle-fille qui le releva gracieusement en lui disant :

— Je pars ; voulez-vous me suivre ? suivez-moi.

— Voila, par saint Jacques d’Ottumba ! un singulier entêtement ! — s’écria le beau-père en secouant la poussière verte de ses genoux. Comment ? vous préférez l’exil à l’honneur d’être gouvernante de la Havane ! cela ne se conçoit pas !

— Je le conçois, moi ; cela suffit, — dit froidement Lilia.

— Mais, ma chère fille, vous poussez trop loin l’amour pour les morts ! Si mon bien-aimé fils lui-même revenait au monde, un seul instant, il vous conseillerait d’épouser le gouverneur ; et moi, qui suis le père de votre mari défunt, je crois le remplacer à cette heure, et en son nom, je vous ordonne de vous remarier.

— Ah ! l’ordre est plaisant, dit en riant Lilia ; le père de mon mari me conseille une infidélité !

— Une infidélité ! Par la baie de tous les saints, mon berceau, je n’ai jamais entendu une expression aussi comique ! Quoi ! parlez-vous sérieusement, ma chère fille ?

— Très-sérieusement, mon cher beau-père.

— Quoi ! en épousant le gouverneur de la Havane, trois ans après la mort de votre mari, vous commettez une infidélité !

— Oui, une infidélité posthume.

— Bien ? Lilia ! le mot est adorable ! Laissez-moi rire.

— Riez.

— J’en rirai vingt ans.

— Et je vous redirai le même mot vingt ans.

— Une infidélité posthume !