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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/323

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abondent ; vous aviez parcouru toutes les mers classiques avec une idée fixe ; vous vouliez découvrir l’île si admirablement décrite par Virgile, insula portum efficit, et dans laquelle les vaisseaux d’Énée s’étaient réfugiés, après une horrible tempête suscitée parla déesse Junon. Nous vous écoutions avec un plaisir extrême ; nous vous suivions, ad oras Libyæ, du promontoire de Mercure au promontoire d’Apollon, à la découverte de cette île, et nous partagions votre désespoir. Cette île, comme celle de Robinson, n’existe pas ; Virgile l’a inventée, ou peut-être a-t-elle subi le sort d’une île qui s’éleva, il y a vingt ans, sur la mer Sicilienne, et disparut à l’approche du gouverneur anglais envoyé de Londres pour en prendre possession.

Vous devez avoir conservé ce goût passionné pour les fables et les histoires antiques, et surtout pour le divin Virgile, le seul poëte qui n’ait rien dit d’inutile, le seul païen qui ait la grâce évangélique, le seul enfant de l’Olympe qui ait mérité le ciel. J’espère donc que votre station à Besika vous aura été profitable, sinon pour la question grecque, du moins pour la question latine. Vous aurez, sans doute, été entraîné, telluris amore, à visiter votre voisinage poétique, pendant les longs ennuis du bord, et à soumettre à un cadastre positif les champs où fut Troie, campos ubi Troja fuit. Probablement, vous receviez, comme nous, à Besika, les notes diplomatiques, les protocoles et tous les ultimatum, depuis le premier jusqu’à l’avant-dernier ; cela devait être peu récréatif, comme tous les jeux sans fin, et vous devez avoir cherché des distractions dans Virgile, in conspectu Tenedos ; vous devez avoir souvent demandé des congés et une embarcation, quand l’étoile Ida amenait le jour, Lucifer Idæ ducebat-