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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/335

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cases ont été inventés à coup sûr par les soldats, couchés sur le sable, auprès de la mer, qui fournit des cailloux, et pendant un siége ennuyeux.

Les soldats russes ont failli inventer quelque chose à l’avant-dernière question d’Orient, au siège de Varna, espèce de Troie ottomane, dont le dernier assaut fut fait avec une pluie de roubles, comme l’assaut de Danaë. Sans cette pluie, les Russes seraient encore aujourd’hui devant la bicoque de Varna, et Danaë serait couronnée rosière par Jupiter, devant Ténédos. Les jeux de marelle, d’échecs et de dames furent donc inventés par trois ingénieurs soldats, qui ne pouvaient payer des frais de tarots — les tarots sont des cartes inventées quatre mille ans, au moins, avant Charles VI. L’histoire n’en fait pas d’autres — ces soldats assiégeants ne pouvaient aussi jouer à pile ou face ; ils n’avaient pas le sou de poche comme aujourd’hui. L’osselet de mouton, avec la double chance de sa bosse et de son trou, pouvait remplacer avantageusement le pile ou face ; mais il n’y a pas de rôtis de mouton dans les armées assiégeantes et, sans ces rôtis, le jeu est impossible. Restent le sable et les cailloux plats. Si les Russes campent, cet hiver, sur les bords du Danube, ils trouveront ces deux éléments aléatoires, et, en se cotisant deux cent mille, ils pourront inventer quelque chose de bon, après la marelle, les dames et les échecs.

On trouvera toujours un soldat inventeur dans une armée, et, s’il m’est démontré par vous, mon cher ami, que la nature du sol est sablonneuse entre le rivage et le retranchement percé par Hector, j’ose affirmer que c’est bien un soldat grec, nommé Palamède, qui a inventé le jeu des échecs au siège