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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/349

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quatre roues ajoutées après coup par les menuisiers troyens sous les pieds d’une montagne de bois quadrupède.

Je présume que vous avez vu au moins le Scamandre, ce fleuve vainqueur de Vulcain. Il prenait sa source au pied du mont Ida, et se jetait dans l’Hellespont, au cap Sigée. Si le Scamandre existe encore, s’il n’est pas mort hydrophobe, vous pouvez le voir de Besika très-aisément avec une lunette d’approche. Alexandre le Grand l’a vu et il a récité sur ses rives un chant d’Homère. Voilà un héros qui se connaissait en question d’Orient ! Ce divin Macédonien avait toutes les affaires du monde sur les bras, mais il trouvait chaque jour un loisir pour s’occuper de travaux poétiques. Il n’avait qu’un seul livre dans sa bibliothèque de voyage, un Homère, relié en lames d’or ! Se trouvant aussi un jour à Besika en station avec sa flotte et méditant sa course vers le Granique, il fit d’abord avec Parménion un pèlerinage pieux au cap Sigée ; il pleura sur le tombeau d’Achille, et, tous ses devoirs de poëte remplis, il fonda une ville, Alexandrie de Troade, et continua sa marche vers la Propontide pour trancher avec son épée le nœud gordien de la seconde question d’Orient. Devant Besika, vous avez cette Alexandrie, et sans doute vous avez visité cette terre que le roi de Macédoine a fécondée en passant, et qui depuis a repris sa stérilité première :

Arebant herbæ et victum seges ægra negabat,


disait Virgile en la voyant ; et il faudrait si peu de chose aujourd’hui pour la couvrir de riches récoltes, a fructu frumenti, vini et olei, comme disait David avant Virgile, son fils aîné. Voici l’hiver, et peut-être, après une si longue station,