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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/86

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nababs, montés sur des éléphants superbes, sortirent de la capitale du Mysore pour recevoir les Français au pont du fleuve Palaur. Un peuple immense formait le cortége du roi ou s’échelonnait sur les remparts, les toits, les pagodes, les arbres, en faisant retentir l’air des sons ou du bruit des mille instruments de l’orchestre indien. Le soleil, éternel invité de toutes les fêtes de l’Asie, couvrait de rayons les grands paysages du Mysore, et des voûtes infinies d’arbres, de lianes, de guirlandes, donnaient une ombre douce aux soldats de l’Occident qui s’avançaient vers la ville, en agitant les drapeaux des Pyramides et du Mont-Thabor.

Ce prodigieux voyage militaire, sans exemple depuis Alexandre, n’avait point ralenti le pas de nos soldats : ils marchaient tous avec l’allure joyeuse qu’on avait admirée à l’autre bout du monde, le jour qu’ils sortirent du val d’Ollioules pour s’embarquer au môle de Toulon. Les corps de musique ouvraient la marche et apprenaient au Mysore les marches triomphales de Grétry et de Méhul, et les Indiens tressaillaient d’enthousiasme, en écoutant ces éclatantes symphonies d’un monde nouveau, ces airs ardents ou suaves qui semblaient verser partout les mélodieuses semences de la concorde et de la civilisation. La musique française était digne de former l’avant-garde, et sa puissante voix, langue universelle, comprise de tous les cœurs, annonçait au vieux Bengale artiste l’arrivée d’un peuple qui n’avait pas besoin de ses armes pour séduire et conquérir. À ce spectacle inouï, les Indiens semblaient se réveiller après un long sommeil, et ils retrouvaient en eux ces germes féconds d’art, de poésie, d’enthousiasme, qui on fait leurs ancêtres si grands, lorsqu’ils