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Page:Méry - Les Nuits d'Orient, contes nocturnes, 1854.djvu/87

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matérialisèrent sur le granit de Golconde, de Java, de Delhi, de Ceylan, tous les rêves gigantesques de leur imagination sublime ; lorsqu’ils écrivirent l’histoire des amours divins, sous la dictée du soleil, sur les arêtes des montagnes et dans les souterrains d’Elora.

Et l’armée s’avançait toujours, elle aussi, bien justement fière de la conquête d’un monde qui se donnait à elle, sans se rougir d’une goutte de sang. Pour la première fois, depuis là création de la mort, la vertu militaire triomphait et n’ouvrait pas une tombe ; cette dernière campagne de nos soldats commençait par la paix, et deux peuples inconnus s’embrassaient, en se rencontrant sur un champ de bataille de fleurs. Bientôt l’illustre cité se découvrit à l’horizon, avec ses tours aiguës, ses dômes d’or, ses pagodes massives, ses panaches de palmiers ; avec cette émouvante physionomie indienne, qui donne à une création matérielle le caractère idéal d’un rêve pétrifié.

À cet aspect, l’Occident poussa un cri d’enthousiasme par les deux mers voisines ; l’Orient répondit par un hymne religieux, dans cette langue harmonieuse, faite avec des notes d’or, des bruits de perles, des mélodies de vagues, des murmures de palmiers, des rayons de soleil. Tous les rangs se confondirent bientôt : peuple et soldats, conquérants et conquis, mêlèrent leurs mains, leurs armes, leurs bannières, leurs drapeaux ; il n’y avait ni victoire, ni vainqueurs. Tous entrèrent ainsi dans la ville capitale à l’heure ou tombait la nuit, et le jour fut aussitôt rallumé par des milliers de gerbes de feux de Bengale, qui permirent encore à tout un peuple de contempler le jeune héros français,